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Wébinaire avec l'archeologue Pascal Arnaud


Qu'avons-nous appris?

Dans cet épisode, je raconte comment je suis tombé dans l’archéologie à une époque où elle n’était pas encore vraiment un métier. À l’âge de 16 ans, j’ai été initié à l’archéologie

préhistorique, alors que je suivais des études de Lettres classiques centrées sur les textes et

les langues anciennes. Immédiatement, l’ambiance collective du chantier et le caractère

pratique du travail de terrain m’ont séduit.

Après 46 ans de terrain, j’évoque les personnes qui m’ont aidé à peu faire se rejoindre ces

deux pôles et à enseigner pendant 33 ans l’histoire et l’archéologie des mondes anciens, et

les mutations d’une discipline qui est devenue d’abord un métier, puis un consortium de

métiers et de spécialités.

Le Trésor de Toutankhamon, les fouilles de Pompéi et Indiana Jones ont donné une image

assez fausse de ce qu’est l’archéologie, mais assez proche de ce qu’elle a été jusqu’au milieu des années 1970 : une chasse au bel objet. Seule l’archéologie préhistorique prêtait alors vraiment attention aux contextes archéologiques, c’est-à-dire à l’articulation entre les

couches qui s’empilent et parfois se recoupent.

Le métier d’archéologue est né avec l’acquisition de plusieurs compétences : un chantier de

fouilles est un chantier de BTP et appelle les mêmes compétences en matière de gestion de

la logistique, des ressources humaines ou encore d’hygiène et de sécurité. L’archéologie,

c’est d’abord remuer de la terre. Beaucoup de terre.

Mais c’est le faire avec ordre et méthode. L’archéologue doit dégager les couches archéologiques, en suivant les changements de couleur, de consistance de la terre ; il doit assurer l’archivage de ces données de façon à ce qu’un autre puisse les utiliser : fiches stratigraphiques, dessins, mobilier archéologique (à nettoyer et inventorier), photographies, prélèvements (charbons,graines, os…).



Car l’archéologue détruit l’objet de son étude : les couches, et leur relations.

On sait oins qu’il fait aussi organiser et gérer une équipe dont tous les membres n’ont pas

encore acquis toutes les compétences n’a pas toujours encore toutes les compétences,

monter des dossiers scientifiques convaincants pour obtenir toutes les autorisations

nécessaires.

Au terme de ce travail, l’archéologue a entre les mains une liste « d’unités stratigraphiques »

qui sont la mémoire de l’empilage des couches, et le matériel que contenaient ces couches.

Leur étude, principalement celle des vases en terre cuite. Ce matériel est généralement très

fragmenté et peu enthousiasmant à première vue. Mais de son identification dépend

l’interprétation de la façon dont on vivait, mais aussi et avant tout de la date à laquelle s’est

constituée une couche.’archéologue ne travaille plus seul comme Indiana Jones. Les sciences expérimentales et les nouvelles technologies ont donné naissance à un ensemble d’archéosciences indissociables de l’archéologie, comme la police scientifique l’est d’une enquête criminelle : les techniques de télédétection (remote sensing) permettent aujourd’hui de se faire une idée générale d’un site avant de décider où et pourquoi on va fouiller. L’archéologie est lente, coûteuse, destructrice, et les progrès des archéosciences sont si rapides que l’on ne peut manquer de se poser la question de savoir s’il ne vaudrait pas mieux attendre pour fouiller.

Ces techniques (résistivité apparente des sols, Géoradar, Lidar, magnétométrie) permettent de

regarder sous le sol sans fouiller, mais ne permettent que d’obtenir un plan. L’analyse géo-

archéologique des sédiments (composition chimique, granulométrie, nature des sédiments),

associée à celle des pollens, organismes vivants ou encore des charbons, permet de reconstituer les paysages dans lesquels s’intégrait un site à chaque phase de son histoire.

La paléo-pathologie permet d’étudier l’état sanitaire et alimentaire d’une population. L’ADN

permet de reconstituer des groupes végétaux, animaux et humains dont on peut suivre le

déplacement. Les analyses isotopiques permettent aujourd’hui de reconstituer les flux de

migrations d’individus ou de populations entières… L’archéologie révèle aujourd’hui

l’histoire de l’interaction entre l’homme et son environnement, celle des grandes migrations

ou celle des pandémies, elle révèle la vie quotidienne des sociétés humaines, les échanges à

courte et grande distance, les contextes technologiques comme aucun texte ne le fait.

Archéologues et spécialistes des textes se sont rapprochés : textes littéraires, copiés et

recopiés pendant des siècles, inscriptions sur pierre, bronze ou sur des objets de la vie

quotidienne, documents administratifs du quotidien (tablettes, papyrus). La mise sur la toile

(web) des grands corpus de textes littéraires, d’inscriptions, de papyrus a totalement

révolutionné l’accès à ces textes et facilité leur comparaison.

Pour arriver à ce résultat, des métiers ont dû apprendre à s’écouter, à se comprendre, à se

respecter pour travailler ensemble et inter-agir. Il m’a fallu plus de 30 ans pour voir

l’évolution de l’archéologie me permettre de rapprocher les deux branches de ma

formation : l’archéologie et les textes.

L’archéologie n’est donc plus un métier, mais un groupe de métiers qui permet de donner un

sens aux témoignages du passé enfouis sous le sol. Les chemins qui mènent à l’archéologie

sont aussi nombreux que ceux qui mènent à Rome. Mais attention de se souvenir que toute

atteinte aux niveaux archéologiques sans la méthode de fouille et de documentation est une

destruction pure et simple, même lorsqu’elle n’est pas un pillage pur et simple destiné à

alimenter un commerce d’objets anciens florissant.

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